Si l’enseigne d’Olivier Wilbers est assurément l’une des plus jolies mais aussi l’une des plus appréciées du Brabant Wallon, une rencontre avec ce chef au parler vrai et au dynamisme inébranlable n’en est pas moins riche d’enseignements quant à la santé, plus ou moins fructueuse, du secteur. Une rencontre aussi intéressante que ce que représente un repas pris ici en situation idyllique. Un moment rare à fêter ? Une envie d’escapade au vert à proximité ? Pensez à La Villa du Hausart, à son sympathique Maître Cuisinier de Belgique mais aussi à son second aussi efficace que créatif.
Alors qu’il est élève au Collège St Michel à Bruxelles, Oliviers Wilbers fait déjà ses débuts dans le métier de cuisinier dès ses 13 ans. Son père ayant connu un grave revers de fortune, il va dès lors gagner son argent de poche en travaillant tous les week-ends dans un restaurant. C’est là entre le rôle de commis et celui de barman que la passion de la cuisine va le gagner. Quelques années plus tard, il devient l’homme orchestre ou plutôt le capitaine d’une belle enseigne du Brabant Wallon, la Villa du Hautsart à Melin (Grez Doiceau) dans l’entité de Jodoigne. En ce mois d’avril 2017, sa notoire enseigne fête ses vingt-trois ans.
Rencontre et interview avec un accueillant Maître Cuisinier brabançon
Photos : Frédéric Picot (Chef de cuisine/Second) & Olivier Wilbers (Maître Cuisinier-Propriétaire
JR : Comment avez-vous débuté dans le métier, un peu envers et contre tous ?
OW : Suite au revers de fortune de mon père, je suis allé travailler le week-end dans un restaurant où j’ai commencé au bas de l’échelle en faisant des petits boulots de plongeur, de nettoyeur de légumes. C’était seulement une occupation alimentaire mais cela m’a tout de même mené dès mes 15 ans à m’occuper déjà de la direction du froid. Ceci tout en étant toujours au Collège St Michel en semaine. A 16 ans, je me suis dit que c’était vraiment ce que j’avais envie de faire. J’ai demandé à mes parents, qui n’étaient pas du tout dans le secteur de la restauration, pour rentrer à l’école hôtelière. Mais ils n’étaient pas chauds, vraiment pas chauds du tout! Ils me voyaient plutôt architecte que cuisinier car il faut savoir qu’il y a une trentaine d’années le métier de cuisinier n’était pas si bien vu et les chefs de cuisine n’étaient pas tant en vue et aussi médiatisé qu’aujourd’hui. Même au Collège St Michel ils m’avaient convoqué pour me dire « Enfin Olivier, tu ne vas tout de même pas nous quitter pour faire l’école hôtelière ! » J’ai ainsi fait exprès de rater ma 5e pour pouvoir rentrer à l’école hôtelière. J’ai donc fait l’Ecole hôtelière tout en continuant à travailler au restaurant La Villa Créole à Rosière. Après cela, à 19 ans j’ai eu envie de faire le tour du monde en pratiquant mon métier mais pour finir, je suis parti au Mexique où je suis resté six mois. C’est alors que mon chef de l’époque à Rosière a eu un grave cancer et que le restaurant m’a fait revenir pour que je reprenne la cuisine.
Vous avez de lourdes responsabilités très jeune, comment cela s’est-il passé ?
A 19 ans, j’étais effectivement très jeune pour diriger une cuisine et c’est sans doute cela qui a fait que les premiers temps on ne disait pas que c’était moi le chef ! Cela ne faisait pas très sérieux de dire que c’était un gamin de 19 ans qui gérait les banquets de mariage des notables du coin ! J’avais peu d’expérience mais je compensais cela en allant moi-même au marché matinal où j’avais l’assurance de produits frais et où je puisais pas mal d’idées. Je faisais attention car certains fournisseurs auxquels on pouvait acheter, par exemple, des centaines de homards par semaine, tentaient de me rouler dans la farine. Ceux-là recevaient vite leur « bon de sortie » et on ne les voyait plus ! Ce n’était pas évident car chaque semaine on changeait de menu ; il fallait avoir tout le temps de nouvelles idées. Vers mes 24 ans, cela faisait dix ans que je travaillais là et j’avais envie de voler de mes propres ailes, de voir et de faire autre chose.
A 24 ans, changement de cap : où allez-vous acquérir votre indépendance ?
Ce sont mes patrons de l’époque qui étaient aussi propriétaires de la Villa du Hautsart qui m’ont proposé de reprendre celle-ci. Un deuxième restaurant était devenu trop lourd pour eux. Ils se sont néanmoins porté garants pour que je puisse avoir le prêt bancaire nécessaire. C’est ainsi que j’ai commencé la Villa du Hautsart, il y a 23 ans aujourd’hui. Par la suite, j’ai repris la gestion du Club Royal des Officiers des Guides à Bruxelles (quartier Luxembourg) un haut lieu de réceptions et banquets, en tant que sous-traitant au départ puis locataire du lieu. Actuellement, dans ce club privé, nous faisons uniquement de l’événementiel pour de grandes personnalités comme des parlementaires européens, des ambassadeurs, des politiques ou encore des responsables de l’OTAN. Ils viennent faire leurs repas chez nous en nombre ou parfois même en très petit comité, quasi confidentiels. C’est une clientèle difficile mais avec le temps nous finissons par la connaitre ! Enfin, il y a une dizaine d’années, avec mon frère, nous avons créé et développé Les Tables d’Upignac, soit 7 restaurants où je me suis occupé des achats, de la carte et des menus qui changeaient tous les mois. Cela m’a un peu éloigné des fourneaux car c’était davantage de l’administration, des tracasseries qu’autre chose alors j’ai fini par arrêter Les Tables d’Upignac.
En 2005 vous entrez dans l’Association des Maîtres Cuisiniers, comment cela s’est-il passé ?
C’est Claude Dupont, qui était venu manger chez moi à la Villa du Hautsart en 2003, qui m’a proposé de poser ma candidature et qui m’a dit qu’il serait mon parrain car il trouvait que l’association avait besoin de jeune comme moi. Deux ans plus tard, je devenais Maître Cuisinier. Alain Deluc du Barbizon était président à l’époque.
Que vous a apporté votre adhésion à l’Association des Maîtres Cuisiniers ?
J’étais flatté de l’invitation car c’était très valorisant, très prestigieux de devenir Maître Cuisinier. Quand on a toujours mené seul sa barque on a envie de se faire tirer par le haut par tous ces grands chefs qui faisaient partie de l’association. C’était une reconnaissance du travail que j’avais accompli. Par la suite, j’ai pu participer à des voyages et constater qu’il y a une convivialité extraordinaire entre maîtres cuisiniers. C’est très sympa !
Etre Maître Cuisinier de Belgique est-ce une plus-value pour un chef ?
Bien sûr. Cela donne confiance à une clientèle qui ne nous connaît pas. Par exemple, lorsque nous organisons des mariages, les invités n’étant jamais venus chez nous peuvent ainsi tester notre cuisine, découvrir les lieux et être de cette façon mis en confiance. Du coup, ces personnes reviennent et deviennent, elles aussi, des clients.
Vos leitmotivs ont-ils ainsi changés avec le temps ?
Oui, car c’est ainsi que, par exemple, nous avons créé un potager de 1200 m2 au total.
Pourquoi avoir créé un potager ?
Pour pouvoir rebondir face aux dérives des produits où l’on n’est plus sûr de rien, où les OGM sont là un peu partout et être certain de la qualité que je sers à mes clients. Ce potager a couté beaucoup plus cher que de se fournir à l’ISPC mais cela a apporté une bien plus grande confiance de nos clients. S’ils le souhaitent, ils peuvent même venir visiter notre potager et y découvrir une douzaine de sortes de tomates différentes, cinq sortes de fraises, toutes les herbes possibles et imaginables, les fleurs comestibles et pas mal d’autres choses comme la bourache. C’est une façon de trouver un nouveau challenge, de faire évoluer ma cuisine au fil des produits qui sortent de semaine en semaine. C’est, je pense, ce qu’il faut faire pour se renouveler quand on existe depuis plus de 20 ans.
D’après vous, de quoi sera faite notre assiette de demain ?
Je pense que l’on va revenir aux valeurs sûres, aux bons produits régionaux venant de Belgique et non d’Outsiplou, aux légumes et fruits de saison aussi. Inutile de manger des fraises en hiver !
Et que sera le secteur par rapport à toutes ces contraintes qui vous sont imposées ?
J’ai fort peur de la restauration de demain avec tout ce que l’on voit, tout ce qui s’imagine en matière de réglementation, j’ai l’impression que l’on va à la catastrophe. Les gens qui s’engagent dans la cuisine gastronomique savent qu’ils vont travailler jusqu’à des cinquante heures par semaine et ce sans contrainte aucune et sans possibilité de salaire en rapport. Il est impossible pour un restaurant gastronomique avec de très bons produits de faire autrement, il est tout aussi impossible de faire face aux obligations sociales ; travailler avec des pointeuses dans notre métier est ingérable. Nous ne pouvons pas ne travailler que huit heures par jour dans ce secteur. Imaginez-vous ce que seraient nos restaurants si le personnel ne venait travailler qu’une heure avant le service ! D’ailleurs, nous avons fait un test, il y a deux-trois ans, en n’ouvrant que du vendredi au dimanche. Ce test a été concluant et c’est ainsi que nous avons adopté cet horaire d’ouverture très réduit. J’en avais parlé à quelques responsables politiques qui étaient convaincus de ce que je dis mais les décideurs, eux ne semblent toujours pas conscients de ces réalités.
Que ne mangeriez-vous jamais ?
Il n’y a pas plus d’une heure on a essayé de me faire manger des vers de sable mais je ne suis pas encore prêt pour cela … je n’en mangerai jamais, je pense.
A contrario, vous feriez des kilomètres pour manger … ?
Des anguilles au vert. Les meilleures pour moi sont chez Tissens à Hoeilaaert où déjà mon grand-père allait les manger.
La Villa du Hausart – Rue de Hussompont, 30 – 1370 Mélin – Tél. 010 81 40 10 www.lavilladuhautsart.com
Interview : Joëlle Rochette – plus complète sur www.mastercooks.be
Photos : ©Morgane Ball – www.morgane-ball.format.com